dimanche 25 décembre 2011

"Le Père Noël existe, je l'ai rencontré"

CONTE DE NOEL] François Morel nous raconte en exclusivité sa rencontre avec le célèbre homme en rouge. Une interview à raconter.... (parue dans le Journal Sud-Ouest le 25 décembre 2011 )


Depuis des années, j'adressais des demandes pour décrocher une interview du Père Noël. Plusieurs fois, j'avais réussi à obtenir un rendez-vous qui, au dernier moment, avait été annulé. « Le Père Noël est fatigué… Le Père Noël ne souhaite pas communiquer en ce moment… Le Père Noël ne parle pas à la presse régionale… »
Je finissais par penser que le Père Noël était bel et bien une ordure.

Pour donner le change, j'avais même pris contact avec l'attachée de presse de la Petite Souris. Oui, la Petite Souris, sans doute moins médiatisée, moins glorifiée, mais dont la vie n'est pas moins énigmatique. Qui est-elle ? Que cherche-t-elle ? Quelles sont ses motivations ? Quels sont ses rêves ? Oui, qui est-elle vraiment, cette Petite Souris qui passe ses nuits à se faufiler sous des oreillers rebondis afin d'y récupérer de petites dents de lait sanguinolentes ?

Et puis, début décembre, je reçois un appel de Laponie. Une voix féminine… « Le Père Noël accepte de vous recevoir demain à 14 h 30. » J'étais fou de joie ! « Vous êtes bien le correspondant du journal "Sud Ouest" ? » demanda la voix. « En effet, j'y suis grand reporter », répondis-je, fier de ma nouvelle affectation. « Ça vous embêterait de passer par Libourne pour apporter les listes de demandes de cadeaux ? On a eu un petit problème d'acheminement… »

Je comprenais : le Père Noël m'accordait une interview en échange du transport de son courrier.

Le lendemain, à l'heure dite, sur l'épaule un sac boursouflé par le désir et l'espoir de millions d'enfants, je me présentai tout emmitouflé, tout intimidé, devant le chalet du Père Noël. Un hélicoptère m'avait déposé au milieu d'un nulle part enneigé. On entendait bramer les rennes. Près d'un chalet cossu, un traîneau retourné attendait une révision complète avant le périple qui, comme chaque année, s'annonçait long et périlleux.

Le Père Noël est venu lui-même à ma rencontre. Exactement comme on se le représente, habillé de rouge et blanc, barbu, souriant, apaisé, chaleureux. Aussitôt, il m'a dessaisi du sac PTT. « Donnez-moi ça, avec votre sac sur l'épaule on dirait Bernard Kouchner. » Le Père Noël semblait très au fait de la politique française. « Merci, monsieur Morel !, enchaîna-t-il, vous me rendez un grand service ! Comment allez-vous ? Je suis ravi de vous rencontrer, j'ai beaucoup d'admiration pour vous ! » D'orgueil, je rougissais ! Le Père Noël me connaissait personnellement ! Je n'en revenais pas. Bien sûr, comme tout le monde, j'ai un petit nom, mais je n'aurais jamais imaginé que ma notoriété, si immense soit-elle, ait pu atteindre le nord de la péninsule scandinave…

Près du feu de bois, deux fauteuils nous attendaient. Une carafe de vin chaud à la cannelle, déjà entamée, était posée sur une table basse.

Sur le bout de son nez, le Père Noël posa de petites lunettes rouges qui lui donnaient vaguement l'air apaisé d'Eva Joly quand elle n'est pas obligée de discuter avec des socialistes.
La conversation pouvait commencer…

« Père Noël, d'abord, merci d'avoir accepté de me rencontrer. Une première question me vient tout de suite à l'esprit, une question naturelle quand on se trouve devant un homme de votre âge toujours en activité : comment vous portez-vous ?

- Pas si mal, jeune homme, pas si mal… Bien sûr, je tremblote, je perds l'équilibre, un petit peu la mémoire, j'ai la vue qui baisse, des problèmes d'articulations, je fais un peu d'ostéoporose, et puis, il y a six mois, je me suis cassé le col du fémur mais, à part ça, tout va bien. Enfin quoi, j'ai tous les petits problèmes inhérents à une personne de mon âge. Mais je fais partie des vieux qui sont encore là, qui ne baissent pas la garde et dont on aura du mal à se débarrasser. Allez-y, vous les novices, les juniors, les blancs-becs, les morveux, allez-y, essayez de faire le tour du monde en une nuit ! Fai tes de l'escalade ! Introduisez-vous dans des cheminées pas toujours ramonées… Même la Mère Noël trouve que ce n'est plus de mon âge. Il n'y aurait qu'elle à décider, j'aime autant vous dire qu'on serait depuis longtemps sur une plage des Bahamas en train de se dorer la pilule et de se faire des "têtes au nord".

- Pardon ?

- Tête au nord : sudoku ! »

Le Père Noël partit dans un grand éclat de rire qui dégénéra en quinte de toux. Ses joues devinrent aussi rouges que sa houppelande. Comme une furie, la Mère Noël apparut pour lui administrer dans le dos une grande claque réparatrice puis aussitôt disparut.

Le visage de la Mère Noël ne m'était pas inconnu… Le Père Noël s'amusa de mon trouble. Cette femme, j'étais certain de l'avoir déjà vue…

« Vous vous demandez qui c'est ? C'est vrai qu'avec son bonnet en laine on ne la reconnaît pas tout de suite… C'est Geneviève de Fontenay. On s'est mis en ménage depuis son éviction des Miss. Vous savez que la consolation, c'est mon petit créneau à moi ! Quand elle est arrivée, je lui ai expliqué que, étant donné la température, son chapeau et ses tailleurs n'étaient pas adéquats. Enfin, on s'entend bien ! Pas toujours commode, la Geneviève, mais elle sait tenir un chalet ! Et puis, elle est un peu devenue directrice artistique, essentiellement pour les panoplies de poupée. Enfin, son principal boulot, c'est surtout de faire rallonger les jupes. »

Voyant mon trouble et ma totale stupéfaction, le Père Noël me servit un troisième grand verre de vin chaud.

« Père Noël, vous êtes une référence pour de nombreux enfants dans le monde. Quel est le principal message que vous voudriez transmettre ?

- Bah, le message habituel, quoi… solidarité, entraide, machin, tout ça… enfin, tout ce qu'on dit dans ces cas-là… Je vous ressers un peu de vin chaud ? »

J'acquiesçai. L'ambiance était douce. Les vapeurs alcoolisées embrumaient légèrement mon esprit cotonneux. Pendant le voyage, j'avais préparé tout un tas de questions. Je voulais savoir pourquoi le Père Noël continuait à déposer des armes, des fusils, des revolvers au pied des sapins. Pourquoi les enfants des pays riches étaient tellement favorisés par rapport à ceux des pays pauvres. Je voulais savoir ce que le Père Noël pensait des délocalisations… ces usines de jouets qui existaient dans les pays occidentaux et ont été déplacées vers la Chine. Et puis, aujourd'hui, ces usines chinoises qui sont délocalisées vers le Bangladesh, vers le Vietnam, où la main-d'œuvre est encore moins chère. On trouve toujours plus petit que soi… On trouve toujours plus mal payé, plus fragile, plus malheureux, plus exploitable…

Oui, j'avais beaucoup de questions à poser au Père Noël, mais je ne m'en suis pas senti le courage… Je suis le pire reporter jamais connu. Le plus mauvais envoyé spécial.

Le Père Noël a demandé à quelques trolls de remettre en marche son traîneau turbo 16 soupapes, nous avons fait un petit voyage à travers les merveilleux paysages de la taïga lapone, il m'a fait visiter son élevage de rennes. Nous croisâmes quelques ours bruns, quelques lapins arctiques et, au moment de nous quitter, il a voulu me faire un cadeau : le chic chapeau noir et blanc de Geneviève, inutile dans ces froides contrées.

Sur le chemin du retour, un peu parce que j'avais un creux, un peu pour me punir de mes piètres talents de journaliste, j'ai mangé le chapeau superflu.

C'est vrai, je ne fus pas très intrépide dans mon questionnement. Je fus même légèrement complaisant, peut-être un peu lâche.

Entre nous, je crois que j'avais encore envie de croire au Père Noël.