Enviro2B.com le 24/11/08
Par Marc Mangin, journaliste et photographe.
Il suit l’actualité économique asiatique depuis plus de vingt ans et l’actualité économique chinoise depuis une quinzaine d’années. Ses voyages fréquents et réguliers dans l’empire du Milieu en font un observateur averti. "Chine, l’empire pollueur", publié aux éditions Arthaud est son septième ouvrage.
La Chine est le plus gros pollueur de la planète en termes d’émissions de CO2. C’est une affaire entendue. Pour autant, ramené à la taille de sa population, ce n’est pas vrai. Un Chinois pollue deux fois moins qu’un Américain. Que faut-il en conclure ? Que le pire reste à venir ou que le pire peut encore être évité ?
Si procès doit être fait à la Chine, au moins qu’il soit équitable. La République populaire a fait ce qu’elle a pu, comme elle a pu, accumulant des erreurs aux conséquences dramatiques, tant pour sa population que pour son environnement. Mise au ban des nations à partir de 1949 en raison des risques de contamination aux idéaux communistes qu’elle faisait courir, la Chine a été livrée à elle-même, ne pouvant compter dans un premier temps que sur l’aide du grand frère soviétique. Au terme des trente années que dura le délire maoïste, elle ne pouvait plus que s’ouvrir au monde. Et comme le monde n’attendait que cela, les choses allèrent vite.
Entre les deux chocs pétroliers, la Chine s’est « éveillée », pour reprendre la métaphore d’Alain Peyrefitte, en offrant à l’industrie occidentale de re-localiser sur son territoire les activités à forte concentration de main-d’œuvre. Les autorités de Pékin y voyaient un bon moyen de reclasser les dizaines de millions d’ouvriers inemployés par le secteur d’Etat qui menaçaient de faire voler en éclat la paix sociale ; l’économie libérale y trouvait pour sa part l’occasion de faire chuter ses coûts de production et envoler les bénéfices de ses actionnaires. La mise à disposition de la main d’œuvre chinoise a largement contribué à cette transition d’une économie jusque-là tributaire de la consommation vers une économie tendue vers les profits et la spéculation.
La Chine, devenue « l’usine du monde », pollue donc aujourd’hui autant que les Etats-Unis. Elle n’en demeure toujours pas moins un pays en voie de développement dans lequel plus des deux tiers de la population vivent en milieu rural avec un revenu à peine suffisant pour assurer sa subsistance quotidienne.
La concentration en Chine des activités industrielles et le développement en lui-même du pays ont atteint aujourd’hui un seuil critique lourd de menaces pour l’avenir. Obsédée par la question alimentaire, la Chine a, depuis longtemps déjà, appauvri son sol : la déforestation, pour accroître les surfaces cultivables ; l’emploi massif d’engrais et de pesticides ont ravagé la couverture végétale, durablement contaminé les sols et les réserves aquifères, asséché une grande partie des réserves d’eau. Avant même l’afflux de capitaux étrangers, la Chine était un pays en voie de désertification. Les rafales de vent portent déjà les sables du désert de Gobi sur la capitale et même au-delà, la péninsule coréenne quand ce n’est pas l’archipel nippon.
L’industrialisation du pays, qui s’est accompagnée d’une urbanisation croissante et d’une indéniable amélioration des conditions de vie a, elle, un impact visible : la pollution atmosphérique. La Chine reste un pays pauvre pour qui l’emploi de sa main-d’œuvre pléthorique passe avant les questions d’environnement. En Chine, on préfère encore une cimenterie archaïque, mais qui emploie plusieurs centaines d’ouvriers, à une unité de production ultramoderne qui n’en emploierait que quelques dizaines. De la même manière, les revenus de l’immense majorité des Chinois ne leur permettraient pas d’acheter une énergie propre, très chère à produire. La Chine se contente donc, pour produire son électricité, de brûler du charbon, souvent de piètre qualité. Et l’on ne parlera pas du développement des transports individuels.
Le développement de la Chine de ces trente dernières années montre finalement les limites du modèle de développement qui se reproduit depuis la révolution industrielle en Europe, au XIXe siècle. Personne n’ose imaginer en effet ce qu’il adviendrait de la planète si la Chine se mettait à consommer dans les mêmes proportions que l’Occident ! Deux planètes ne suffiraient pas à lui fournir l’énergie nécessaire.
La Chine, en tous cas ses dirigeants, ne sous-estiment pas les dangers qui les guettent et, à travers eux, guettent l’ensemble de la planète. La Chine a montré, à l’occasion des Jeux olympiques de Pékin, que la pollution la plus visible, n’était pas nécessairement éternelle. Tout n’est qu’une question de temps et la Chine a, face au temps, un rapport singulier qui fait défaut aux Occidentaux. Si ces derniers raisonnent davantage à court terme, profit immédiat oblige, les Chinois s’inscrivent dans une durée qui les dépasse. Les difficultés d’aujourd’hui sont acceptables si elles augurent le bien-être de demain. L’homme et la nature ne forment-ils pas un tout ?
Probablement consciente que « concentration » rime avec « extermination » comme les Européens devraient s’en souvenir, la Chine ne semble pas figée à l’intérieur de ses frontières. Elle ne l’a d’ailleurs jamais été, Tibétains et Ouïghours, pour ne rester que dans une période récente, peuvent en témoigner. « La Chine, comme disait l’autre, c’est là où les Chinois font des affaires ! »
Depuis quelques temps, mais surtout depuis son entrée dans l’Organisation mondiale du commerce, la Chine s’internationalise à visage découvert. Elle prend des positions dans trois domaines stratégiques : l’énergie et les matières premières, l’agroalimentaire et la finance. Elle assure ainsi son indépendance énergétique, alimentaire et financière. On comprendra dès lors assez vite qu’en cette période où, dans ces trois domaines, le monde occidental vit sa plus grave crise de tous les temps, la Chine se trouve dans une position maîtresse. Ses réserves en devises, par exemple, lui permettraient si nécessaire de se payer l’intégralité de la récolte américaine de céréales à deux fois son cours ! C’est vers elle, entre autres, que la communauté financière se tourne aujourd’hui pour assurer sa survie après le krach de ces derniers mois.
On peut évidemment se contenter de ne voir que les erreurs de la Chine et leur résultat environnemental. En replaçant en revanche le bilan dans son contexte, historique, politique et culturel, et sans présager de ce que sera l’avenir, la Chine nous fait douter de la pertinence du modèle de développement occidental.
Par Marc Mangin, journaliste et photographe.
Il suit l’actualité économique asiatique depuis plus de vingt ans et l’actualité économique chinoise depuis une quinzaine d’années. Ses voyages fréquents et réguliers dans l’empire du Milieu en font un observateur averti. "Chine, l’empire pollueur", publié aux éditions Arthaud est son septième ouvrage.
La Chine est le plus gros pollueur de la planète en termes d’émissions de CO2. C’est une affaire entendue. Pour autant, ramené à la taille de sa population, ce n’est pas vrai. Un Chinois pollue deux fois moins qu’un Américain. Que faut-il en conclure ? Que le pire reste à venir ou que le pire peut encore être évité ?
Si procès doit être fait à la Chine, au moins qu’il soit équitable. La République populaire a fait ce qu’elle a pu, comme elle a pu, accumulant des erreurs aux conséquences dramatiques, tant pour sa population que pour son environnement. Mise au ban des nations à partir de 1949 en raison des risques de contamination aux idéaux communistes qu’elle faisait courir, la Chine a été livrée à elle-même, ne pouvant compter dans un premier temps que sur l’aide du grand frère soviétique. Au terme des trente années que dura le délire maoïste, elle ne pouvait plus que s’ouvrir au monde. Et comme le monde n’attendait que cela, les choses allèrent vite.
Entre les deux chocs pétroliers, la Chine s’est « éveillée », pour reprendre la métaphore d’Alain Peyrefitte, en offrant à l’industrie occidentale de re-localiser sur son territoire les activités à forte concentration de main-d’œuvre. Les autorités de Pékin y voyaient un bon moyen de reclasser les dizaines de millions d’ouvriers inemployés par le secteur d’Etat qui menaçaient de faire voler en éclat la paix sociale ; l’économie libérale y trouvait pour sa part l’occasion de faire chuter ses coûts de production et envoler les bénéfices de ses actionnaires. La mise à disposition de la main d’œuvre chinoise a largement contribué à cette transition d’une économie jusque-là tributaire de la consommation vers une économie tendue vers les profits et la spéculation.
La Chine, devenue « l’usine du monde », pollue donc aujourd’hui autant que les Etats-Unis. Elle n’en demeure toujours pas moins un pays en voie de développement dans lequel plus des deux tiers de la population vivent en milieu rural avec un revenu à peine suffisant pour assurer sa subsistance quotidienne.
La concentration en Chine des activités industrielles et le développement en lui-même du pays ont atteint aujourd’hui un seuil critique lourd de menaces pour l’avenir. Obsédée par la question alimentaire, la Chine a, depuis longtemps déjà, appauvri son sol : la déforestation, pour accroître les surfaces cultivables ; l’emploi massif d’engrais et de pesticides ont ravagé la couverture végétale, durablement contaminé les sols et les réserves aquifères, asséché une grande partie des réserves d’eau. Avant même l’afflux de capitaux étrangers, la Chine était un pays en voie de désertification. Les rafales de vent portent déjà les sables du désert de Gobi sur la capitale et même au-delà, la péninsule coréenne quand ce n’est pas l’archipel nippon.
L’industrialisation du pays, qui s’est accompagnée d’une urbanisation croissante et d’une indéniable amélioration des conditions de vie a, elle, un impact visible : la pollution atmosphérique. La Chine reste un pays pauvre pour qui l’emploi de sa main-d’œuvre pléthorique passe avant les questions d’environnement. En Chine, on préfère encore une cimenterie archaïque, mais qui emploie plusieurs centaines d’ouvriers, à une unité de production ultramoderne qui n’en emploierait que quelques dizaines. De la même manière, les revenus de l’immense majorité des Chinois ne leur permettraient pas d’acheter une énergie propre, très chère à produire. La Chine se contente donc, pour produire son électricité, de brûler du charbon, souvent de piètre qualité. Et l’on ne parlera pas du développement des transports individuels.
Le développement de la Chine de ces trente dernières années montre finalement les limites du modèle de développement qui se reproduit depuis la révolution industrielle en Europe, au XIXe siècle. Personne n’ose imaginer en effet ce qu’il adviendrait de la planète si la Chine se mettait à consommer dans les mêmes proportions que l’Occident ! Deux planètes ne suffiraient pas à lui fournir l’énergie nécessaire.
La Chine, en tous cas ses dirigeants, ne sous-estiment pas les dangers qui les guettent et, à travers eux, guettent l’ensemble de la planète. La Chine a montré, à l’occasion des Jeux olympiques de Pékin, que la pollution la plus visible, n’était pas nécessairement éternelle. Tout n’est qu’une question de temps et la Chine a, face au temps, un rapport singulier qui fait défaut aux Occidentaux. Si ces derniers raisonnent davantage à court terme, profit immédiat oblige, les Chinois s’inscrivent dans une durée qui les dépasse. Les difficultés d’aujourd’hui sont acceptables si elles augurent le bien-être de demain. L’homme et la nature ne forment-ils pas un tout ?
Probablement consciente que « concentration » rime avec « extermination » comme les Européens devraient s’en souvenir, la Chine ne semble pas figée à l’intérieur de ses frontières. Elle ne l’a d’ailleurs jamais été, Tibétains et Ouïghours, pour ne rester que dans une période récente, peuvent en témoigner. « La Chine, comme disait l’autre, c’est là où les Chinois font des affaires ! »
Depuis quelques temps, mais surtout depuis son entrée dans l’Organisation mondiale du commerce, la Chine s’internationalise à visage découvert. Elle prend des positions dans trois domaines stratégiques : l’énergie et les matières premières, l’agroalimentaire et la finance. Elle assure ainsi son indépendance énergétique, alimentaire et financière. On comprendra dès lors assez vite qu’en cette période où, dans ces trois domaines, le monde occidental vit sa plus grave crise de tous les temps, la Chine se trouve dans une position maîtresse. Ses réserves en devises, par exemple, lui permettraient si nécessaire de se payer l’intégralité de la récolte américaine de céréales à deux fois son cours ! C’est vers elle, entre autres, que la communauté financière se tourne aujourd’hui pour assurer sa survie après le krach de ces derniers mois.
On peut évidemment se contenter de ne voir que les erreurs de la Chine et leur résultat environnemental. En replaçant en revanche le bilan dans son contexte, historique, politique et culturel, et sans présager de ce que sera l’avenir, la Chine nous fait douter de la pertinence du modèle de développement occidental.
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